
L’affaire DOUALEMN : 6 février 2025 - n°2501379 (commentaire)
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« Doualemn », désigné par les médias depuis quelques semaines, est un ressortissant algérien - âgé de 59 ans - qui résidait de manière régulière sur le territoire français depuis le mois de septembre 2010, avec ses deux enfants français ainsi que sa compagne française.
Rappel : tout étranger qui est amené à séjourner de manière prolongée sur le territoire français doit être en possession d’un titre de séjour pouvant être octroyé pour une durée variable, selon le motif de séjour.
Alors qu’il venait d’obtenir le renouvellement de son titre de séjour pour une durée de validité de 10 ans, M. Naman a publié sur un réseau social une vidéo dans laquelle il tient des propos qualifiés par les autorités judiciaires comme une incitation à « attraper » un individu aux fins de lui infliger une « correction sévère ».
Le 5 janvier 2025, l’intéressé va être interpellé et placé en rétention administrative.
La rétention administrative permet de maintenir dans un lieu fermé un étranger qui fait l'objet d'une décision d'éloignement, dans l'attente de son renvoi forcé.
C’est dans ce contexte que le 7 janvier 2025, le ministre de l’Intérieur a délivré à l’encontre de M. Naman - en urgence absolue (article L. 921-2 du CESEDA) - une mesure d’expulsion assortie d’une décision de retrait de son titre de séjour qui venait de lui être renouvelé le 26 décembre 2024.
Il convient ainsi de définir les contours des mesures administratives prises à l’encontre du ressortissant algérien (I), avant d’inscrire ces dernières dans le contexte ayant conduit à une décision rendue le 6 février 2025 (II).
I) Expulsion et OQTF : examen des mesures délivrées au ressortissant algérien
1) Qu’est-ce que l’expulsion d’un étranger et dans quels cas cette mesure est-elle prononcée ?
Une mesure d’expulsion est une mesure prise par le ministre de l’Intérieur ou le préfet, qui oblige un étranger – en situation régulière - à quitter le territoire français en raison de la menace plus ou moins grave que sa présence représente.
À noter que ces décisions peuvent être annulées par le tribunal administratif.
Cette mesure est entourée d’un certain nombre de garanties procédurales, qui disparaissent en cas d’urgence absolue.
En effet, certaines catégories d’étrangers peuvent être protégés de manière relative ou absolue de cette mesure. Toutefois, la loi immigration du 26 janvier 2024 a modifié le champ d’application de cette exception dans son article L. 631-2 du CESEDA.
En bref, cette disposition énumère 5 catégories d’étrangers qui ne peuvent faire l’objet d’un arrêté d’expulsion pour menace à l’ordre public mais qui peuvent être expulsés en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État et la sûreté publique.
À ce titre, l’article L. 631-3 du CESEDA facilite l’expulsion d’un étranger en cas de comportement de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, dont la violation délibérée et d’une particulière gravité des principes de la République, des activités de nature terroriste, la constitution d’actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine et la violence.
Ainsi, dans l’affaire dite « Doualemn », le ministre de l’intérieur a considéré que la vidéo justifiait la mesure.
Or, le juge des référés du Tribunal administratif de Paris a - par une ordonnance du 29 janvier 2025 - suspendu l’exécution du seul arrêté d’expulsion, notamment au motif que l’urgence absolue invoquée n’était pas justifiée.
En réaction, par décision du 30 janvier 2025, le préfet de l’Hérault a délivré deux obligations de quitter le territoire français, ainsi qu’une interdiction de retourner sur le territoire français pendant une période de trois ans.
2) Qu’est-ce qu’une obligation de quitter le territoire ?
L’obligation de quitter le territoire (OQTF) est une mesure administrative délivrée par le préfet qui confère à l'autorité compétente le pouvoir d'ordonner à tout étranger se trouvant en situation irrégulière de quitter le territoire français.
Elles s'appliquent à toutes les situations de présence irrégulière sur le territoire, en vertu du CESEDA ou de la Convention de Schengen, à l'exception toutefois des étrangers disposant d'un lien privilégié avec la France.
Cette décision fixe le pays de renvoi (article L. 721-3 du CESEDA) et est assortie d’un délai de 30 jours de sa notification à compter duquel l’intéressé doit rejoindre ce pays.
Un délai de départ supérieur à 30 jours ou une prorogation du délai initial peut être accordée par le préfet à titre exceptionnel.
Le préfet a aussi la possibilité d’obliger un étranger à quitter le territoire sans délai les cas suivants :
-
son comportement constitue une menace pour l’ordre public
-
il s’est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse
-
il existe un risque qu’il se soustrait à l’obligation de quitter le territoire français
Dans l’affaire « Doualemn », le préfet de l’Hérault a soumis le ressortissant à deux mesures d’OQTF sans délai, en se fondant sur le retrait par le Ministre de l’intérieur du titre de séjour de ce dernier.
Pour rappel, l’expulsion est une mesure qui vise un étranger en raison de la menace qu’il représente pour l’ordre public, indépendamment de la régularité de son séjour. Elle peut donc concerner une personne titulaire d’un titre de séjour valide. Elle est prise par le ministre de l’Intérieur ou le préfet et peut, en cas d’urgence absolue, être exécutée immédiatement sans les garanties procédurales habituelles.
L’OQTF, contrairement à l’expulsion, est une mesure d’éloignement fondée sur l’irrégularité du séjour.
En l’espèce, le préfet a pris une OQTF en se fondant sur le retrait du titre de séjour par le ministre de l’Intérieur, qui avait placé l’intéressé en situation irrégulière.
La délivrance de ce type de mesure est donc strictement encadrée et fait l’objet – le plus souvent – de contestations devant le tribunal administratif : c’est ce qu’il s’est passé dans cette affaire.
Il convient alors de s’intéresser à cette contestation formée par M. Naman.
II) Sur le recours en annulation des mesure d’OQTF délivrées le 30 janvier 2025 par le préfet de l’Hérault
1) La décision rendue le 6 février 2025 par le tribunal administratif de Melun
Dès lors que M. Naman a reçu ces deux décisions du préfet de l’Hérault prononçant à son encontre une OQTF sans délai ainsi qu’une interdiction de retour sur le territoire français pour trois ans, celui-ci a formé une contestation devant le tribunal administratif de Melun.
Par un jugement du 6 février 2025 (n°2501379), le tribunal administratif de Melun a annulé ces décisions en relevant que l’OQTF reposait uniquement sur le retrait du titre de séjour, lequel avait été automatiquement prononcé à la suite de l’expulsion.
En effet, l’article L. 432-4 du CESEDA prévoit que :
« Une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle peut, par une décision motivée, être retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. Une carte de résident ou la carte de résident portant la mention “ résident de longue durée-UE ” peut, par décision motivée, être retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public ».
Et aux termes de l’article L. 432-12 du même code :
« L'article L. 611-1 n'est pas applicable lorsque l'étranger titulaire d'une carte de résident se voit : (...) /2° Retirer sa carte de résident en application de l'article L. 432-4. Lorsque l'étranger qui fait l'objet d'une mesure mentionnée aux 1° ou 2° du présent article ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application des articles L. 631-2 ou L. 631-3, une autorisation provisoire de séjour lui est délivrée de droit ».
Conformément à ces dispositions, un étranger résidant régulièrement en France et représentant une menace grave pour l’ordre public peut faire l’objet soit :
-
d’un arrêté d’expulsion pris sur le fondement de l’article L. 631-1 du CESEDA, entraînant de plein droit le retrait de son titre de séjour en vertu de l’article R. 432-3 du même code,
-
d’une décision de retrait de son titre de séjour en application de l’article L. 432-4, adoptée après examen de sa situation personnelle et pouvant, le cas échéant, être assortie d’une obligation de quitter le territoire français sur le fondement de l’article L. 611-1.
Il en résulte que lorsqu’un titre de séjour – valable 10 ans – a été retiré, seule une mesure d’expulsion peut être légalement prononcée en application de l’article L. 432-12 du CESEDA susvisé. |
Pour rappel, le 7 janvier 2025, M. Naman a fait l’objet d’une expulsion du territoire français selon la procédure d’urgence absolue, entraînant, le même jour, le retrait de son titre de séjour en application du 1° de l’article R. 432-3 du CESEDA.
Étant précisé que cet arrêté d’expulsion a été suspendu par le juge des référés du tribunal administratif de Paris par une ordonnance du 29 janvier 2025.
Et, l’OQTF prise par le préfet de l’Hérault le 30 janvier 2025 reposait directement sur ce retrait de titre.
Or, ce retrait, étant automatique et indissociable de l’expulsion, ne peut en aucun cas justifier une OQTF.
De plus, comme il s’est vu retirer un certificat de résidence valable dix ans, seule une mesure d’expulsion pouvait être prise à son encontre en raison de la menace qu’il représente.
En résumé, les arrêtés contestés étant ainsi entachés d’erreur de droit, ont fait l’objet d’une annulation par le Tribunal administratif de Melun dans cette décision du 6 février 2025.
2) Les conséquences de la décision rendue le 6 février 2025 par le tribunal administratif de Melun
Par sa décision du 6 février 2025, le Tribunal administratif de Melun a annulé l’OQTF visant M. Naman.
Conformément à l’article article L. 614-16 du CESEDA, ce dernier a été libéré après un mois passé en rétention administrative.
Cette annulation contraint le préfet de l’Hérault à lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et à réexaminer sa situation sous trois mois.
En vertu de l’article R. 922-27 du CESEDA, l'État a un mois, à compter de la date du jugement, pour former un appel devant la cour administrative d’appel.
Cette décision réaffirme l’exigence d’un cadre juridique strict pour les mesures d’éloignement et la nécessité d’un examen individualisé avant toute décision d’OQTF.
Juliette Thomas - Master 2 Justice, Procès et Procédures ; parcours droit des contentieux et de l’exécution - Université Paris-Est Créteil