
L’arrêt des chaînes C8 ET NRJ12 : juridiquement, que faut-il savoir ?
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Le vendredi 28 février 2025 à partir de 0h01, voici les seules images que les téléspectateurs de la TNT pouvaient voir sur les chaînes portant le numéro 8 et le numéro 12.
En effet, désormais, les chaînes n’existent plus, et ce jusqu’au 6 juin 2025 (pour la chaîne T18) et du 1er septembre (pour la chaine OFTV), dates à partir desquelles une nouvelle numérotation des chaînes émergera. Cette nouvelle numérotation peut être trouvée sur le site du service public.
L’arrêt des chaînes C8 et NRJ12 provient de la décision de l’ARCOM de ne pas renouveler leurs fréquences sur la TNT. En effet, les autorisations de diffusion par voie hertzienne de 15 services de télévision sont arrivées à échéance en 2025 (Canal +, C8, W9, TMC, TFX, NRJ 12, BFM TV, CNews, CStar, Gulli, LCI, Canal + Cinéma, Canal + Sport, Planète + et Paris Première).
S’en est alors suivi une bataille juridique entre C8, NRJ12 et l’ARCOM. Après avoir étudié le rôle de l’ARCOM (I), nous étudierons plus précisément les recours intentés par C8 et NRJ12 devant le Conseil d’Etat (II).
I) Quel est le rôle de l’ARCOM ?
A) La naissance de l’ARCOM
L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) est née de la fusion entre la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) le 1er janvier 2022.
L’ARCOM est une autorité publique indépendante (API) qui dispose de la personnalité morale. Elle est composée d’un collège de 9 membres nommés par décret pour un mandat de 6 ans non renouvelable.
Elle est considérée comme le « gendarme de l’audiovisuel ».
B) Les missions et les pouvoirs de l’ARCOM
L’ARCOM a 4 missions principales :
Cette autorité dispose également d’un pouvoir de sanction.
Par exemple, conformément à l'article 62 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dite "Loi Léotard", dans le cadre de la lutte des contenus haineux, l’ARCOM peut prononcer une sanction pécuniaire allant jusqu’à 20 millions d’euros ou 6% du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent des opérateurs de plateforme en ligne.
Son rôle est ainsi strictement conditionné par les contours de la liberté d’expression.
C) L’ARCOM et la liberté d’expression
1) Les fondements de la liberté d’expression
La loi Léotard de 1986 relative à la liberté de communication, est le pendant numérique de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dont les premiers articles disposent respectivement que :
-
« La communication au public par voie électronique est libre. »
-
Et que « L'imprimerie et la librairie sont libres ».
Ces deux lois sont donc les fondements nationaux français de la liberté d’expression.
Pour rappel, la liberté d’expression est protégée au niveau supranational par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, qui dispose que :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement […] »
Et est également protégée au niveau européen, par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui dispose que :
« Toute personne a droit à la liberté d’expression […] ».
Toutefois, cette liberté n’est pas absolue.
2) Les limites de la liberté d’expression
La liberté d’expression n’est pas absolue et peut faire l’objet de restrictions.
L'article 1er de la loi Léotard de 1986 limite ainsi l’exercice de la liberté de la communication audiovisuelle aux nécessités :
-
De respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d'autrui, du pluralisme de l'expression des courants de pensée et d'opinion,
-
De la protection de l'enfance et de l'adolescence, la sauvegarde de l'ordre public, les besoins de la défense nationale, les exigences de service public, les contraintes techniques et la production audiovisuelle.
Ces restrictions à la liberté d’expression sont parfaitement légales en ce que les articles supranationaux et européens ci-dessus cités prévoient eux-mêmes que la loi doit prévoir les cas dans lesquels l’exercice de cette liberté sont constitutifs d’abus.
Conforme à son rôle d’attribuer les autorisation de diffusion des chaines sur les canaux de la TNT, l’ARCOM a dévoilé la liste des chaines pré sélectionnées pour prétendre aux nouveaux canaux de la TNT : et n’y figurent plus les chaines C8 et NRJ12.
II) Les recours de C8 et NRJ12 devant le Conseil d’Etat
Suite à la décision de l’ARCOM de ne pas renouveler les autorisations de diffusion des chaines C8 et NRJ12, ces chaines ont effectué des recours contre cette décision devant le Conseil d’État.
Ces autorisations de renouvellement, conformément à l'article 28-1 de la loi Léotard de 1986, sont données pour 10 ans. Ainsi, l’ARCOM a lancé un appel aux candidatures pour l’attribution fréquences de la TNT de ces canaux le 28 février 2024.
Par un communiqué du 24 juillet 2024, l’ARCOM a dévoilé la liste des chaines pré sélectionnées pour prétendre aux nouveaux canaux de la TNT et n’y figurent plus les chaines C8 et NRJ12.
Dans l’attente d’une décision rendue sur le fond, par deux requêtes du 18 septembre 2024, les chaines C8 et NRJ12 ont formé chacune un référé-suspension de la décision de l’ARCOM de ne pas avoir pré sélectionnées les chaines.
Précisions : le référé-suspension est une procédure d'urgence qui permet de demander au juge administratif de suspendre en urgence l'exécution d'une décision administrative dont la légalité est contestée.
Le 25 septembre 2024, le Conseil d’Etat a rejeté la requête de C8 et la requête de NRJ12, qui a considéré que la condition de l’urgence, essentielle pour un recours en référé, n’était pas remplie car les chaines pouvaient continuer de diffuser jusqu’à la décision de l’ARCOM, et que la décision sur le fond pourra être rendue avant novembre 2024.
Puis, par une décision rendue le 19 décembre 2024, le Conseil d’Etat a validé la décision de non renouvellement des chaines rendue par l’ARCOM. Selon lui, la chaine C8 a fait l’objet de nombreuses sanctions financières, mises en demeure de la part de l’ARCOM en raison des manquements à ses obligations légales et conventionnelles en matière de respect des droits de la personne, de protection des mineurs et de maîtrise de l'antenne (7.6 millions d’euros d’amende en 8 ans) et les programmes diffusés sont trop peu diversifiés, tout comme les programmes de NRJ12.
Par exemple, la chaine C8 a été condamnée à une amende de 3.5 millions d’euros par une décision de l'ARCOM pour les propos injurieux tenus par l’animateur dans l’émission « Touche pas à mon poste » du 10 novembre 2022, à l’encontre d’un invité, député et ancien chroniqueur de l’émission, qui s’est exprimé sur « la thématique de l’inégale répartition des richesses et sur les activités en Afrique d’un actionnaire du groupe Canal+ ».
Ainsi, la décision de l’ARCOM de ne pas renouveler les autorisations TNT des chaines C8 et NRJ12 se base sur une juste appréciation des caractéristiques des projets apportés par les chaines, ainsi que les impératifs et critères qui lui sont imposés par la loi, soit le pluralisme des courants d’expression socio-culturels et l’intérêt du public.
COËTMEUR Chloélia Élève-avocat à l’Ecole du Barreau de Paris