
L’assouplissement de l'accès à la profession d'avocat : Arrêt du 19 mars 2025, n°23-19.915 (commentaire)
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Le 19 mars 2025, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu une décision concernant l'inscription d'un juriste d'entreprise au tableau de l'ordre des avocats.
Cet arrêt, opposant le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Saint-Etienne à une salariée, apporte des clarifications importantes sur l'interprétation de l'article 98, 3° du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat.
I - Le cadre juridique avant l'arrêt du 19 mars 2025
L'accès à la profession d'avocat a longtemps été soumis à un parcours classique strict.
La profession d’avocat était réservée aux titulaires d'un master en droit, désormais il est nécessaire d’obtenir un Master 2 depuis le 1er janvier 2025 ou d'un titre ou diplôme reconnu comme équivalent par l'arrêté du 31 décembre 2024.
Après avoir obtenu ce Master et après avoir passé un examen d’entré, une formation initiale de dix-huit mois au sein d'un Centre régional de formation professionnelle d'avocats (CRFPA) est obligatoire, en vue de l'obtention du Certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA).
Toutefois, le décret du 27 novembre 1991 a introduit huit dispenses, notamment à l'article 98, permettant à certaines catégories de professionnels du droit d'accéder au barreau sans passer par la formation classique.
Parmi ces dispenses, l'article 98, 3° prévoyait la possibilité pour les juristes d'entreprise justifiant d'au moins huit années d'expérience dans un service juridique spécialisé d'être dispensés de la formation et de l'examen du CAPA :
“Sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat : (…) 3° Les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises ; (…)”.
Toutefois, une interprétation restrictive de cette disposition a souvent amené les conseils de l'ordre à refuser l'inscription des juristes d’entreprises, estimant que leur activité ne relevait pas d’un service juridique spécialisé.
II - Les faits et la procédure de l’arrêt du 19 mars 2025
Dans cette affaire, une salariée exerçant en qualité de responsable conformité et déléguée à la protection des données au sein d'une société de location financière, a sollicité son inscription au barreau de Saint-Etienne sur le fondement de la dispense prévue à l'article 98, 3° du décret du 27 novembre 1991.
Le conseil de l'ordre a rejeté sa demande, estimant que ses fonctions ne relevaient pas d'un service juridique spécialisé.
La salariée a contesté cette décision en interjetant appel. La Cour d’appel a annulé la décision du conseil de l'ordre et ordonné son inscription.
Le conseil de l'ordre s'est pourvu en cassation, contestant cette interprétation.
III - L'apport de l'arrêt du 19 mars 2025
Dans son arrêt du 19 mars 2025, la Cour de cassation rejette le pourvoi du conseil de l'ordre et confirme la décision de la cour d'appel.
La Haute juridiction affirme que les fonctions exercées par la salariée relevaient bien du cadre juridique requis par l'article 98, 3° du décret de 1991.
La Cour rappelle que l'article 93 du même décret prévoit que toute personne bénéficiant d'une des dispenses de l'article 98 et ayant réussi l'examen de déontologie peut être inscrite au barreau.
Elle considère que l'activité de la salariée, même si elle concentrée sur la conformité et la protection des données, participe pleinement dans la résolution des problèmes juridiques de l'entreprise, notamment en matière de lutte contre le blanchiment, de réglementation prudentielle et de respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD).
IV - Une interprétation évolutive de la notion de "juriste d'entreprise"
L’arrêt du 19 mars 2025 marque une évolution dans la reconnaissance des juristes d'entreprise souhaitant devenir avocats.
Alors que la jurisprudence antérieure avait tendance à interpréter de manière restrictive les critères permettant aux juristes d’entreprise d’accéder à la profession d’avocat, la Cour de cassation adopte une approche plus concrète et plus ouverte, prenant en compte la diversité des missions des juristes d'entreprise d’aujourd’hui.
Désormais, un professionnel exerçant des fonctions en lien avec la réglementation et la conformité pourra être considéré comme relevant d'un service juridique spécialisé, dès lors qu'il contribue à la résolution des problèmes juridiques de l'entreprise.
Cette décision permet de faire évoluer les voies dérogatoires d’accès à la profession d’avocat.
V - Les conséquences pratiques pour les juristes d'entreprise : un accès assoupli et clarifié à la profession d’avocat
L'arrêt du 19 mars 2025 constitue une avancée pour les professionnels du droit en entreprise souhaitant se reconvertir dans la profession d'avocat.
Il clarifie les critères d'éligibilité et l'accès à la dispense du CAPA pour une catégorie de juristes dont l’accès à la profession était jusque-là limité.
Néanmoins, il convient de préciser que la dispense prévue à l'article 98, 3° ne s'applique qu'aux juristes exerçant des fonctions directement liées à un service juridique spécialisé, telles que celles en matière de conformité ou de réglementation.
Un juriste dont l'activité se limite à des tâches administratives juridique ou ou des questions juridiques ponctuelles ne pourra pas se prévaloir de cette dispense.
Désormais, les conseils de l'ordre devront examiner les candidatures des juristes d'entreprise en tenant compte de la nature réelle de leurs activités, plutôt que de se limiter à une lecture restrictive des textes.
En pratique, l'Ordre du barreau choisi par le candidat délibère sur sa demande d'inscription, sous réserve de la réussite à un examen de déontologie et de réglementation professionnelle, dont les modalités et le programme sont définis par l'arrêté du 30 avril 2012.
Le candidat doit passer cet examen auprès du CRFPA de son choix, en présentant la décision définitive statuant sur son inscription au tableau de l'Ordre.
Ce n'est qu'après avoir réussi cet examen qu'il pourra être autorisé à prêter serment et exercer la profession d'avocat.
VI - Conclusion
Par cet arrêt du 19 mars 2025, la Cour de cassation se conforme aux réalités actuelles de l'exercice d’un juriste d’entreprise.
Cette décision permet une meilleure adaptation entre les parcours professionnels de juriste d’entreprise et la profession d'avocat, en reconnaissant la valeur juridique des missions effectuées en entreprise.
Cet arrêt s'inscrit dans une tendance d'ouverture et de diversification des profils au sein de la profession d’avocat, reflétant l'évolution du monde juridique actuel.
Il est également important de préciser, que la Cour de cassation a rendu un autre arrêt le même jour (Cour de cassation, 1ère chambre civile 19 mars 2025, 23-20.904), et a également confirmé qu'un juriste exerçant en droit social au sein d'un service juridique spécialisé pouvait bénéficier de la dispense prévue à l'article 98, 3°.
Désormais, les juristes exerçant en RGPD et les juristes exerçant droit social pourront obtenir l’accès dérogatoire à la profession d’avocat, s' ils exercent bien dans un service juridique spécialisé.
Mélanie LACOUR - Élève-avocat à l’EDASE - Droit civil