La notion de “devoir conjugal” dans le cadre du mariage : L’affaire H.W c. France (commentaire)

La notion de “devoir conjugal” dans le cadre du mariage : L’affaire H.W c. France (commentaire)

Le 23 janvier dernier, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), s’est prononcée et a condamné de façon inédite la France dans le cadre de l’affaire H.W c. France (CEDH, 5e sect., Requête n°13805/21, Affaire H.W c. France). Cette dernière portait notamment sur le prononcé du divorce aux torts exclusifs d’une épouse ayant refusé d’avoir des relations intimes avec son époux. C’est à la suite du rejet du pourvoi formé devant la Cour de Cassation le 17 septembre 2020 (Cass., Civ 1ère, 17 septembre 2020, Pourvoi n°20-10.564), que la requérante a décidé de saisir la CEDH. La Cour a notamment constaté la violation de l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CESDH), relatif au droit au respect à la vie privée et familiale. 

I) Les libertés relatives au mariage

Le droit européen, et particulièrement le droit découlant de la CESDH est riche, et a été la source de nombreuses évolutions en droit français. D’abord, l’article 12 CESDH reconnaît aux couples un droit de se marier et de fonder une famille. Ce même droit est également consacré par exemple dans la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne (article 9). S’agissant du droit interne, la Constitution française de 1958 ne reconnaît pas explicitement un tel droit. A cet égard, le Conseil Constitutionnel a donc dû le dégager (Cons. const., Décision n°93-325 DC, 13 août 1993). D’ailleurs, à l’occasion de la réforme du Code civil de 2013 autorisant le mariage des personnes de même sexe, le Conseil Constitutionnel a pu à nouveau se prononcer sur la garantie de ce droit (Cons. const., Décision n°2013-669 DC, 17 mai 2013). 

Mais si une liberté de se marier existe, elle implique également l’existence d’une liberté de ne pas se marier, et plus encore, un droit de divorcer. Cependant, la CEDH n’a pas estimé qu’il était possible de déduire de l’article 12 CESDH un droit au divorce au regard des travaux préparatoires de la convention. 

Ainsi, le divorce étant consacré en France dans les articles 229 à 247-2 du Chapitre Ier du Titre VI du Code civil, le Conseil Constitutionnel a considéré dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité que le droit au divorce est la face “négative” de la liberté de se marier (Cons., const., Décision n°2016-557 QPC, 29 juillet 2016). 

II) L’implication de la CEDH

L’intervention de la CEDH sur la question du mariage, notamment au regard de la protection physique et intime des femmes, n’est pas nouvelle. Par exemple, dans une affaire de 2023, le CEDH a condamné la Turquie en raison du délai de viduité, délai pendant lequel, à la suite de la rupture d’un mariage, une femme ne pouvaient pas se marier. Or, un examen médical consistant à s’assurer que la femme n’était pas enceinte permettait de raccourcir ce délai (CEDH, 2eme sect., Requête n°27094/20, Nurcan Bayraktar c. Turquie). 

Toutefois, la Cour a ici été confrontée à une nouvelle question : le prononcé du divorce pour faute aux torts exclusifs d’une requérante s’étant soustraite au “devoir conjugal” représente-t-il une violation de l’article 8 CESDH ?

 III) La notion de devoir conjugal 

Le devoir conjugal se définit par l’obligation entre deux époux de consommer le mariage, à savoir d’avoir des rapports sexuels. 

En droit français, l’article 212 du Code civil prévoit que : “Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance”. Par ailleurs, l’article 215 alinéa 1 du Code civil prévoit que le mariage implique une communauté de vie entre les deux époux. Toutefois, force est de constater qu’il n’existe à l’heure actuelle pas de base légale permettant de renvoyer explicitement à la notion de devoir conjugal.

Or, l’article 242 du Code civil prévoit que le divorce pour faute puisse être prononcé en cas de violation des obligations d’un des deux conjoints, rendant impossible le maintien de la vie commune. Toutefois, le devoir conjugal est en principe exclu de son champ d’application, puisque légalement inexistant.

Cependant, même en l’absence de base légale, la jurisprudence a effectué une interprétation extensive du principe de communauté de vie dans le mariage imposé par l’article 215 du Code civil, en y rattachant l’exercice du “devoir conjugal”, et ce de manière constante depuis 1964 (Cass., Civ 2ème, 8 octobre 1964). C’est en ce sens que la Cour de Cassation a donc pu en déduire que le refus unilatéral de la requérante d’avoir des relations physiques avec son époux peut être retenu comme une cause de divorce pour faute. A cet égard, la CEDH souligne d’ailleurs dans son arrêt que cette solution n’est ni ancienne ni nouvelle et puisqu’elle est encore régulièrement appliquée par les juridictions du fond (cons.25).

IV) L’apport de l’arrêt rendu le 23 janvier 2025 par la CEDH

Dans cet arrêt, la CEDH remet en avant le fait que bien que la France reconnaisse l’existence d’un devoir conjugal, elle admet également “le caractère répréhensible du viol entre époux”, celui-ci ayant été toutefois tempéré par une présomption de consentement aux actes sexuels accomplis dans le cadre de la vie conjugale (cons.30). 

Or, la CEDH rappelle que la requérante l’a saisie notamment en raison de l’atteinte portée par cette obligation à son intégrité physique, correspondant à un aspect du respect au droit de la vie privée garanti par l’article 8 CESDH (cons.40). De plus, la requérante se prévaut d’une atteinte à sa liberté sexuelle, qui est également une composante de l’article susvisé. Or, la CEDH considère que constitue une grave ingérence des pouvoirs publics au respect de la vie privée, de la liberté sexuelle et du droit de disposer de son corps, le prononcé d’un divorce pour de tels motifs (cons.71), dès lors que les Etats jouissent d’une étroite marge d’appréciation en la matière (cons.85).

Par ailleurs, la Cour met en exergue le fait que le devoir conjugal tel qu’établit par la jurisprudence française ne prend pas en compte le consentement aux relations sexuelles alors même qu’il est essentiel à l’exercice de la liberté sexuelle des individus (cons.86). Ainsi, au regard d’une telle interprétation, et en l’absence de base légale, un tel comportement est constitutif de violence sexuelle au sens de la jurisprudence de la CEDH. A cet égard, la Cour invite la France a prévoir un cadre juridique adapté pour prévenir de telles violences (cons.87) et exclut dans le même temps que le consentement au mariage emporte consentement aux relations sexuelles futures (cons.91). 

V) Un arrêt s’inscrivant dans un contexte national particulier 

Cet arrêt s’inscrit dans un contexte juridique et sociétal particulier en France. En effet, alors même que le débat de l’introduction de la notion de consentement dans la définition du viol avait été à nouveau mis en avant par une proposition de directive européenne (Proposition relative à la lutte contre les violences faites aux femmes de 2022), le procès de Dominique Pélicot, auteur des viols de Mazan, est venu mettre en évidence bon nombre de problématiques concernant la définition de cette infraction. 

Cet arrêt représente ainsi un pas de plus vers une protection renforcée du droit de disposer de son corps et de la liberté sexuelle, en particulier dans le couple.

 

Lorna De Weindel ,Titulaire d’un Master 2 en Droit Public des Affaires

 

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