
Gestation pour autrui : Cour de Cassation, 1e Civ, 2 octobre 2024, n° 22-20.883 (commentaire)
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Cour de Cassation, 1e Civ, 2 octobre 2024, n° 22-20.883
À quelles conditions l’exequatur permet la reconnaissance de la filiation d’un enfant né d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger sur les registres français de l’état civil ?
I) Le principe d’interdiction de la gestation pour autrui en France
Avant tout, comment définir ce processus qu’est la gestation pour autrui ? La gestation pour autrui est le fait pour une femme, généralement désignée sous le nom de « mère porteuse », de porter un enfant pour le compte d’un « couple de parents d’intention » à qu’il sera remis après sa naissance.
Quid sur le terrain du droit international ? Aucun texte contraignant relatif à la gestation pour autrui n’a été adopté. Tandis que divers pays autorisent ce processus, d’autres États tels que la France l’interdisent. En effet, la gestation pour autrui est proscrite en France ; cela est prévu par la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain. Cette loi a introduit l’article 16-7 du Code civil, lequel dispose « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». La gestation pour autrui suppose donc une conciliation entre deux principes fondamentaux, à savoir le droit au respect de la vie privée et familiale, consacré par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et l’indisponibilité de l’état des personnes et du corps, consacrée par les articles 16 du Code civil et 3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.
II) La procédure d’exequatur en matière de filiation d’un enfant né d’une gestation pour autrui à l’étranger
L’exequatur, procédure de contrôle des jugements étrangers, permet au bénéficiaire d’un jugement étranger de lui voir conférer force exécutoire sur le territoire français. En France, selon l’article 509 du Code de procédure civile, les jugements rendus par les tribunaux étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi.
L’interdiction de la gestation pour autrui n’étant pas remise en cause, la thématique de la reconnaissance dans le droit français de la filiation des enfants nés à l’étranger par le biais d’une gestation pour autrui a évolué ces dernières années.
En principe, les jugements étrangers relatifs à l’état des personnes peuvent être inscrits sur les registres français de l’état civil indépendamment de toute procédure d’exequatur. Cependant, si elle est contestée, leur régularité doit être contrôlée.
Pour revenir à la procédure de l’exequatur, il y eu diverses évolutions. Depuis l’arrêt « Münzer » rendu par la chambre civile de la Cour cassation le 7 janvier 1964, le juge de l’exequatur ne doit plus procéder à une révision au fond du jugement étranger, c’est-à-dire qu’il n’a plus à entièrement reprendre l’affaire jugée par le tribunal étranger pour en vérifier la régularité de fond. L’arrêt « Cornelissen » rendu le 20 février 2007 affirme donc qu’il incombe au juge de l’exequatur de vérifier trois conditions. En effet, il doit s’assurer de la compétence du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, de la conformité de la décision à l’ordre public international de fond et de procédure, ainsi que de l’absence de fraude.
Plus spécifiquement, quand il s’agit d’établir l’exequatur d’une décision prononçant la filiation de l’enfant né par le biais d’une gestation pour autrui effectuée à l’étranger, le juge se fonde sur divers facteurs, tels que le risque de vulnérabilité des parties à la convention de gestation pour autrui ainsi que du droit de l’enfant et des personnes impliquées au respect de leur vie privée. Il est fondamental de rappeler que l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par l’article 3§1 de la convention de New-York du 20 novembre 1989, constitue une considération primordiale.
III) Les précisions apportées par la Cour de cassation quant à l’ordre public de procédure
L’ordre public de procédure correspond à la conformité aux droits fondamentaux de la procédure qui s’est tenue à l’étranger. En droit français, cela renvoie au procès équitable de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme impliquant l’exigence du contradictoire, les droits de la défense, ou encore l’obligation de motivation des juges.
Dans son arrêt du 2 octobre 2024, la Cour de cassation se penche sur la conception française de l’ordre public international de procédure permettant la reconnaissance d’une décision étrangère notamment si cette dernière est motivée. Si la décision étrangère n’est pas motivée, il appartient au demandeur de produire des documents de nature à servir d’équivalent.
En l’espèce, le jugement étranger ne précise pas la qualité des différentes parties impliquées dans le processus de la gestation pour autrui, ou encore leur consentement à une renonciation à leurs éventuels droits parentaux. Sa motivation est donc défaillante. Les demandeurs au pourvoi n'ont produit aucun élément de nature à servir d’équivalent à une telle motivation nécessaire à la reconnaissance d’une décision étrangère selon la conception française de l’ordre public international de procédure.
En somme, la Cour de cassation considère que la décision litigieuse, revêtue d’une motivation défaillante, est contraire à l’ordre public international français et n’est donc pas revêtue de l’exequatur. De ce fait, la décision étrangère litigieuse n’est pas exécutoire en France ce qui induit que la filiation de cet enfant né d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger ne sera pas inscrite sur les registres français de l’état civil.
Camille CASANOVA // Titulaire d'un Master 2 Justice, Procès et Procédures ; droit des contentieux et juriste gestionnaire en protection juridique
1 commentaire
Très belle analyse qui permet, enfin, de rendre le droit accessible à tout un chacun