Le harcèlement moral institutionnel : Cour de cassation 21 janvier 2025, n°22-87.145 (commentaire)

Le harcèlement moral institutionnel : Cour de cassation 21 janvier 2025, n°22-87.145 (commentaire)

Dans son arrêt rendu le 21 janvier 2025, la Cour de cassation consacre définitivement la notion de harcèlement moral institutionnel.

En 2006, la société France Télécom déploie un nouveau plan de restructuration. Or, en décembre 2009, le syndicat dépose plainte du chef de harcèlement moral contre ladite société.

Qu’est-il reproché aux prévenus ? Ces derniers sont mis en cause en raison d’agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail des personnels, susceptibles de porter atteinte à leurs droits et à leur dignité, d’altérer leur santé physique ou mentale, ou de compromettre leur avenir professionnel. Ce nouveau plan de restructuration correspondrait à une politique d’entreprise visant à déstabiliser les salariés, à créer un climat professionnel anxiogène en recourant notamment à des réorganisations multiples et désordonnées, des incitations répétées au départ, etc.  

Le 20 décembre 2019, le tribunal correctionnel déclare certains prévenus coupables de harcèlement moral, infraction définie par l’article 222-33-2 du code pénal. Or, ces derniers, en désaccord avec le jugement rendu, interjettent appel. La Cour d’appel de Paris a, quant à elle, considéré, le 30 septembre 2022, que le harcèlement moral institutionnel est caractérisé. Autrement dit, elle a entériné cette notion ayant été introduite dans la jurisprudence rendue par le tribunal correctionnel trois ans auparavant. Toutefois, un pourvoi en cassation a été formé.

Ce 21 janvier 2025, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur divers principes fondamentaux nécessaires à la compréhension de la notion de harcèlement moral institutionnel.

Étant donné qu’elle consacre définitivement la notion de harcèlement moral institutionnel, la Cour de cassation confirme la définition précédemment donnée par la Cour d’appel de Paris. Le harcèlement moral institutionnel est défini selon les termes suivants : « des agissements définissant et mettant en œuvre une politique d’entreprise ayant pour but de structurer le travail de tout ou partie d’une collectivité d’agents, agissements porteurs, par leur répétition, de façon latente ou concrète, d’une dégradation, potentielle ou effective, des conditions de travail de cette collectivité et qui outrepassent les limites du pouvoir de direction ».

La politique d’entreprise est, quant à elle, définie comme : « la politique principale des ressources humaines, composante de la politique générale de la société, déterminée par la ou les personnes qui ont le pouvoir et la capacité de faire appliquer leurs décisions aux agents et de modifier les comportements de ceux-ci ».

 Est-ce que le harcèlement moral institutionnel entre dans les prévisions de l’article 222-33-2 du code pénal ?

I) Le principe de légalité des délits et des peines en matière pénale 

Le principe de légalité des délits et des peines, aussi appelé le principe de légalité criminelle, est un principe fondamental du droit pénal : il ne peut pas y avoir de crimes, délits et contraventions sans une définition préalable de ces infractions fixant leurs éléments constitutifs ainsi que la peine applicable. En pratique, un individu ne peut être poursuivi et condamné que par l’application d’une loi préexistante à l’acte reproché. Ce principe est consacré à plusieurs échelles. Tout d’abord, il est inscrit à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce qui en fait un principe à valeur constitutionnelle (ladite déclaration faisant partie du bloc de constitutionnalité). Ensuite, en étant inscrit dans l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme, il a également une valeur conventionnelle. Enfin, il a valeur légale car est bien entendu rappelé à l’article 111-3 du code pénal.

En l’espèce, l’un des moyens du pourvoi en cassation est d’affirmer que l’interprétation de la jurisprudence constante concernant l’article 222-33-2 du code pénal serait contraire au principe de légalité criminelle car la rédaction en vigueur à l’époque des faits ne sanctionnerait pas le harcèlement moral institutionnel.

Rappelons-le, au moment des faits, l’article 222-33-2 du code pénal issu de la loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 dispose « le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Le justiciable doit pouvoir, à partir du libellé de la disposition savoir quelles actions et omissions sont susceptibles d’engager sa responsabilité pénale. Lorsqu’un doute subsiste, il faut analyser si l’interprétation large donnée par les juridictions internes est raisonnablement prévisible. À ce titre, la Cour Européenne des Droits de l’Homme estime que ladite interprétation doit rentrer dans une ligne perceptible de jurisprudence. 

En réponse à cela, la Cour de cassation affirme que l’arrêt rendu par la cour d’appel n’encourt pas la censure car la jurisprudence constante, contrairement à ce qu'affirment les demandeurs au pourvoi, n’a jamais interprété l’infraction comme exigeant l’existence d’un rapport de travail direct et individualisé entre la personne poursuivie et ses victimes. Également, la Cour de cassation n’a jamais exclu que le harcèlement moral puisse revêtir une dimension collective.

La notion de harcèlement moral institutionnel résultant de la mise en œuvre d’une politique d’entreprise correspond à une des modalités du harcèlement moral, infraction définie par l’article 222-33-2 du code pénal. L’interprétation large donnée par la cour d’appel étant raisonnablement prévisible, elle n’est pas contraire au principe de légalité criminelle.

II) L’interprétation de la loi pénale

 L’interprétation stricte de la loi pénale par le juge, rappelée par l’article 111-4 du code pénal, est le corollaire du principe de légalité criminelle. De ce principe d’interprétation stricte, découlent des conséquences pour le juge. Ce dernier ne peut pas inventer une infraction lui permettant de sanctionner un individu. Également, il a l’interdiction d’avoir recours à l’analogie, c’est-à-dire appliquer une loi pénale à une infraction qu’elle ne prévoit pas.

 

En l’espèce, les demandeurs se sont également appuyés sur la violation de ce principe. La loi pénale étant d’interprétation stricte, le harcèlement moral ne pourrait être consommé que dans des relations interpersonnelles entre l’auteur de l’agissement et une ou plusieurs personnes déterminées. En déterminant les prévenus coupables de harcèlement moral institutionnel à raison, non pas de relations individuelles, mais de la politique d’entreprise, la cour d’appel aurait appliqué extensivement la loi pénale.

 

Or, la Cour de cassation rejette également le pourvoi à ce titre car l’élément légal de l’infraction de harcèlement moral n’exige pas que les agissements répétés s’exercent à l’égard d’une victime déterminée ou dans le cadre de relations interpersonnelles entre leur auteur et la ou les victimes, pourvu que ces dernières fassent partie de la même communauté de travail.

 

III) L’application de la loi pénale dans le temps

 

L’article 112-1 du code pénal pose le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère : une loi nouvelle plus sévère que la loi ancienne ne s’applique pas aux faits commis et non définitivement jugés avant son entrée en vigueur.

 Certes les dispositions de l’article 222-33-2 du code pénal, dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, ne mentionnent pas le harcèlement moral institutionnel mais lesdites dispositions ont été rédigées tout en prenant connaissance d’un avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme du 29 juin 2000 consacré au harcèlement moral au travail. Cet avis prévoit trois formes possibles de harcèlement moral :

-   Le harcèlement individuel, pratiqué dans un but purement gratuit de destruction d’autrui et de valorisation de son propre pouvoir.

-   Le harcèlement professionnel, organisé à l’encontre de salariés, précisément désignés, destiné à contourner les procédures légales de licenciement.

-   Le harcèlement institutionnel, participant d’une stratégie de gestion de l’ensemble du personnel.

 Grâce à ces travaux préparatoires, l’interprétation donnée par la cour d’appel n’est pas contraire au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

 En somme, ce 21 janvier 2025, la Cour de cassation applique l’incrimination prévue par l’article 222-33-2 du code pénal à une situation nouvelle : le harcèlement moral institutionnel. Elle considère que cette application n’était pas imprévisible.

 

Camille Casanova, Titulaire d’un Master II Justice, Procès et Procédures ; Juriste Gestionnaire en Protection Juridique.

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