L’utilisation des drones dans l’espace public : CE 30 décembre 2024 n°473506 (commentaire)

L’utilisation des drones dans l’espace public : CE 30 décembre 2024 n°473506 (commentaire)

Le développement de nouvelles technologies fait apparaître diverses problématiques juridiques qu’il convient de mettre en évidence. On peut citer l’exemple de l’utilisation des drones dans l’espace public, par les forces de sécurité intérieures à des fins de surveillance, dans un but de protection de l’ordre public et de la sécurité des personnes et des biens. L’utilisation de ces nouveaux outils technologiques peut porter atteinte à certaines libertés fondamentales, notamment au droit au respect de la vie privée, résultant de la captation d’images ou de données personnelles. De ce fait, il est nécessaire d’opérer une conciliation entre l’utilisation des drones dans l’espace public à des fins de maintien de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée.

I) Un cadre juridique validé par le Conseil d’État 

Dans un arrêt du 30 décembre 2024 (n°473506), le Conseil d’Etat a affirmé que le cadre juridique relatif au traitement des images filmées par drones, utilisé afin de maintenir l’ordre public, respecte les exigences de la protection des données personnelles ainsi que le droit au respect de la vie privée. En d’autres termes, au regard du droit en vigueur, à savoir un décret du 19 avril 2023 et la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure du 24 janvier 2022, les drones peuvent être utilisés conformément au cadre juridique prévu, pour maintenir l’ordre public tout en respectant les exigences de protection de la vie privée. 

Dans cet arrêt, les associations requérantes contestent le décret du 19 avril 2023, relatif à la mise en œuvre de traitements d’images obtenues par des dispositifs de captation, installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative, telles que la prévention des atteintes à l’ordre public et la protection de la sécurité des personnes, mais également des biens.

II) Un cadre juridique respectueux des exigences du droit au respect de la vie privée

Il est à noter que l’utilisation de drones dans l’espace public peut porter atteinte au droit au respect de la vie privée. Pour rappel, le droit au respect de la vie privée est garanti à l’article 9 du code civil en ce qu’il affirme que « Chacun a droit au respect de sa vie privée », et notamment à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Cependant, comme toutes libertés fondamentales, le droit au respect de la vie privée n’est pas absolu et peut faire l’objet de restrictions, par exemple lorsque la protection de l’ordre public le justifie. L’utilisation des drones peut présenter une atteinte au droit au respect de la vie privée en ce que la captation d’image effectuée par le drone, se heurte au droit à l’image des individus, qui constitue un corollaire du droit au respect de la vie privée, comme le démontre l’arrêt Von Hannover contre Allemagne de la Cour européenne du 24 juin 2004.

 Le cadre juridique prévu pour l’usage de drones par les forces de sécurité, a été rappelé par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 30 décembre 2024. En effet, le juge a précisé que la reconnaissance faciale, la captation de son et les croisements avec d’autres fichiers étaient interdits. De plus, l’usage de drone peut être mis en place afin de maintenir l’ordre public, mais dans certains cas seulement, mentionnés à l’article L 242-5 du code de la sécurité intérieure. Pour citer quelques exemples, l’article évoque la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens, la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux publics, ou encore la prévention d’acte de terrorisme.

III) La nécessité de l’utilisation des drones : un critère indispensable 

Il est à noter que chaque utilisation doit faire l’objet d’une autorisation délivrée par le préfet, qui doit contrôler l’usage nécessaire des drones. A ce titre, l’article L 242-4 du code de la sécurité intérieure précise que la mise en œuvre doit être strictement nécessaire et adaptée aux circonstances de l’intervention. En d’autres termes, le préfet doit s’assurer qu’aucun autre moyen moins intrusif ne peut être mis en place pour atteindre le but recherché. Ainsi, l’évaluation du caractère nécessaire s’effectue au cas par cas.

 En ce sens, lors de son contrôle, le juge va s’assurer que la mise en place d’une surveillance par drone est proportionnée au but recherché. Ainsi, le 28 janvier 2024 (n°2400316) le Tribunal administratif d’Amiens a considéré que l’utilisation des drones à des fins de surveillance d’une manifestation sur la voie publique, autorisée par le préfet, portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, car les conditions d’utilisation étaient trop générales, notamment concernant le périmètre d’utilisation qui doit être délimité. De plus, le 10 mai 2024 (n°2401057), le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a suspendu l’autorisation du préfet relative à la mise en œuvre d’une surveillance par drone d’un rassemblement, car aucun risque réel de trouble grave à l’ordre public n’a été démontré. De ce fait, l’utilisation des drones en l’espèce portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée. En ce sens, le trouble à l’ordre public ne doit pas être hypothétique, celui-ci doit être réel afin de justifier l’utilisation de drones.

 Il est intéressant de mentionner que la nécessité de l’utilisation de drones a déjà pu être retenue, notamment le 29 juin 2024 (n°2417590), où le Tribunal de Paris a considéré que le critère de nécessité était présent. Cette décision a été justifiée par le contexte national, au jour des résultats du premier tour des élections législatives, présentant ainsi un risque réel de trouble à l’ordre public selon le juge. De plus, ce dernier a précisé qu’il n’était pas démontré qu’un autre moyen, permettrait d’atteindre l’objectif de maintien de l’ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens. En revanche, bien que l’usage des drones ait été prévu sur l’ensemble de la ville de Paris, le juge n’a pas considéré ce périmètre comme étant trop général et portant une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.

 Ainsi, par son arrêt du 30 décembre 2024, le Conseil d’Etat vient valider les règles juridiques encadrant l’utilisation des drones dans l’espace public, afin de maintenir l’ordre public. Ce cadre juridique clair permettra au juge d’effectuer un contrôle précis, au cas par cas, sur l’utilisation de ces outils technologiques. Il s’agira pour le juge de vérifier si l’atteinte au droit au respect de la vie privée n’est pas disproportionnée, notamment en s’assurant qu’il soit démontré que l’utilisation de drones est le seul moyen permettant de maintenir l’ordre public.

 

Écrit par Pélissier Amandine, titulaire d’un Master 2 Justice, procès et procédures

 

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