
La neutralité des édifices publics : Tribunal administratif de Versailles du 20 décembre 2024 n°2208477 (commentaire)
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La question relative à la neutralité des bâtiments publics se pose généralement en fin d’année en période de Noël, lors de l’éventuelle installation de crèche de Noël dans les mairies. Cependant, il existe d’autres situations où la neutralité des édifices publics peut poser question, notamment lorsqu’il s’agit du pavoisement de ces derniers.
Il s’agit du cas d’espèce de la décision du Tribunal administratif de Versailles en date du 20 décembre 2024 (n°2208477). Par cette décision, il a été décidé qu’une mairie pouvait apposer un drapeau ukrainien sur la façade de son bâtiment, aux côtés du drapeau français et du drapeau européen, car cela ne constituait pas, en l’espèce, une revendication politique, et n’était donc pas contraire au principe de neutralité des services publics. En effet, il a été jugé qu’il s’agissait d’un symbole de solidarité envers le peuple ukrainien, victime d’une agression militaire. Il convient de préciser que le maire ne peut prendre cette décision seul, il doit obtenir une délibération du conseil municipal, c’est pourquoi le tribunal annule la décision du maire, bien qu’elle ne soit pas contraire au principe de neutralité des édifices publics.
I) Le principe de neutralité des édifices publics
La neutralité peut se définir comme le fait de ne pas prendre position, de ne pas émettre de préférences politiques, religieuses ou encore philosophiques. Conformément à l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit ». Il est ici fait référence à l’obligation de neutralité religieuse des édifices publics. Cependant, ces derniers sont également soumis au principe de neutralité politique et philosophique.
En effet, par un arrêt Commune de Saint Anne du 27 juillet 2005 (n°259806), le Conseil d’Etat a appliqué le principe de neutralité des services publics au pavoisement des édifices publics, et a affirmé que ce principe s’oppose à ce que soit apposé sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions religieuses, politiques mais également philosophiques. En ce sens, la neutralité des bâtiments publics découle du principe de neutralité des services publics, c’est notamment ce que rappelle le juge dans sa décision du 20 décembre 2024. L’arrêt Commune de Saint Anne fait référence au pavoisement des bâtiments publics. En effet, il s’agissait en l’espèce du pavoisement d’une mairie avec un drapeau constituant, selon le juge, une revendication politique contraire au principe de neutralité des services publics.
II) L’application in concreto du principe de neutralité
Afin de déterminer s’il y a violation du principe de neutralité des services publics et plus précisément des édifices publics, le juge administratif va prendre en compte les circonstances de l’espèce, et principalement le contexte dans lequel s’inscrit le symbole apposé sur l’édifice public ou installé à l’intérieur de ce dernier.
La décision du Tribunal administratif de Versailles précitée, illustre ce contrôle in concreto du juge. En effet, pour déterminer si l’apposition du drapeau ukrainien constituait une revendication politique et donc une violation du principe de neutralité, le juge a apprécié le contexte dans lequel elle s’inscrivait. En l’espèce, il a été relevé que cette initiative d’apposer le drapeau ukrainien sur la façade de la mairie, était « partagée par de nombreuses autres communes françaises et encouragée par le ministre alors en charge de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ». De plus, cela s’inscrivait « dans le contexte national de soutien diplomatique, humanitaire et matériel offert à l’Ukraine par l’Etat français ». Ainsi, ces circonstances ont conduit à caractériser l’existence d’un symbole de solidarité et non un symbole revendiquant les opinions politiques du maire.
Le contrôle in concreto du juge peut également être illustré par la décision du Tribunal administratif de Paris du 17 mai 2019 (n°1813863/4-2), par laquelle il relève que l’apposition du drapeau arc-en-ciel (LGBT) sur l’hôtel de ville de Paris, traduit une volonté « d’exprimer un attachement à des valeurs de tolérance et de lutte contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ». Il ajoute que cette initiative est « en faveur du développement touristique, notamment à l’occasion de l’organisation » de la « Marche des fiertés ». Pour adopter cette motivation, le juge a pris en compte le but de l’apposition de ce drapeau, ainsi que le cadre dans lequel il s’inscrivait afin d’en conclure qu’il n’y avait pas d’atteinte au principe de neutralité.
Ce contrôle in concreto peut également être mis en évidence avec le cas des crèches de Noël.
III) Quid des crèches de Noël dans les bâtiments publics ?
Pour ce qui est des crèches de Noël au sein des bâtiments publics, le Conseil d’Etat s’est prononcé le 9 novembre 2016 par deux arrêts, Fédération départementale des libres penseurs de la Seine-et-Marne (n°395122) et Fédération de la libre pensée de Vendée (n°395223). Par ces arrêts, le juge note que la crèche de Noël est une représentation pouvant revêtir de nombreuses significations. En effet, elle peut constituer un symbole religieux, mais également un symbole culturel ou festif. En ce sens, il distingue selon que l’installation de la crèche traduise un but religieux, auquel cas, elle sera illégale, ou un but festif et culturel, auquel cas, elle sera légale. Il précise par ces arrêts, que dans l’espace public de telles installations sont autorisées, sauf si elles véhiculent une intention de prosélytisme ou une revendication religieuse, qui de ce fait les rendraient illégales.
Ainsi, les édifices publics sont soumis au principe de neutralité des services publics, ce qui implique une interdiction d’y élever ou d’y apposer des signes traduisant des revendications d’opinions religieuses, politiques ou philosophiques. Pour déterminer la présence de telles revendications, le juge administratif se livre à un contrôle in concreto, autrement dit en prenant en compte les circonstances de l’espèce et le but de la décision.
Écrit par Amandine Pélissier, titulaire d’un Master 2 Justice, procès et procédures