
Les moyens de défenses en procédure civile : Cass. civ. 2, 6 février 2025, n° 22-17.249, FS-B (commentaire)
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En procédure civile, les moyens de défenses désignent l’ensemble des arguments juridiques permettant au défendeur de contester ceux du demandeur.
Le code de procédure civile prévoit des moyens de fond, des exceptions de procédure ou encore des fins de non-recevoir, ayant chacun un régime applicable distinct.
L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 6 février 2025, apporte une clarification sur les contestations de validité des actes de saisie de droit incorporels, autrement dit des saisies mobilières.
Cette décision apporte des précisions quant à la distinction entre un moyen de défense au fond et une exception de procédure.
I - Résumé de l’arrêt du 6 février 2025, n° 22-17.249
A - Faits et procédure
Une société a fait pratiquer une saisie de droit d’associé et de valeurs mobilières en vertu d’un acte notarié de prêt.
Les débiteurs ont contesté cette saisie devant le juge de l’exécution (ci-après “JEX”) en demandant son annulation à titre principal et un sursis à statuer à titre subsidiaire.
Un ayant droit a été appelé en intervention forcée suite à un décès en cours de la procédure.
Le JEX a validé la saisie et la contestation a été rejetée.
Les débiteurs interjetaient appel. La cour d’appel a confirmé la décision de première instance et a déclaré irrecevable l’exception de nullité de l’acte de saisie ayant été soulevée tardivement.
Les débiteurs formaient un pourvoi en cassation.
B - Problème juridique
Une contestation contre un acte de saisie de droits incorporels constitue-t-elle une exception de procédure ?
C - Solution
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel en retenant que la nullité d’un acte de saisie de droits incorporels ne constitue pas une exception de procédure, mais un moyen au fond.
De sorte, que la cour d’appel a fait une appréciation erronée en estimant que l’exception de nullité était irrecevable au motif qu’elle aurait dû être soulevée avant toute défense au fond.
II - Contestation d’une saisie mobilière, moyen de défense au fond ou exception de procédure ?
A - La distinction entre les nullités des actes judiciaires et celles des actes extrajudiciaires
Cet arrêt permet d’éviter une confusion entre les nullités des actes de procédure judiciaire (qui doivent être soulevés immédiatement en tant qu’exception de procédure) et les nullités visant des actes de procédure extrajudiciaire à savoir ici, des actes de commissaires de justice dans le cadre d’une voie d’exécution (qui sont des moyens de fond et peuvent être soulevés tout au long de la procédure.
En l’espèce, la contestation de la saisie ne portait pas sur la régularité de la procédure judiciaire, mais sur la validité d’un acte de saisie pratiqué par un commissaire de justice. Il s’agissait donc bien d’un moyen au fond, et non d’une exception de procédure.
B - Une confirmation jurisprudentielle de la qualification juridique des nullités en matière de saisies mobilières
Cette décision s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation.
En effet, la Haute Juridiction s’est appuyée notamment sur un arrêt du 6 décembre 2007 (Civ. 2è, 6 décembre 2007, n°06-15.178 et n°07-13.964).
Dans ce précédent arrêt, il avait été considéré que la nullité d’un acte de saisie-attribution ne constituait pas une exception de procédure au sens de l’article 73 du code de procédure civile.
Selon l’article 73 du code de procédure civile :
“Constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours”.
Autrement dit, une exception de procédure à pour finalité de déclarer une procédure irrégulière.
Or, en l’occurrence la contestation de la saisie ne remet pas en cause la procédure mais la validité d’un acte extra judiciaire.
III - Une portée pragmatique
A - Une sécurité juridique accrue
Tout étudiant en droit sait que les décisions de justice sont rendues à la lumière du principe de sécurité juridique.
C’est ce qu’à voulu mettre en avant la Cour de cassation dans cet arrêt.
De sorte, qu’un débiteur peut invoquer la nullité d’un acte de saisie à tout moment de la procédure, même s’il a déjà formulé des moyens de défense au fond.
Cette solution peut être qualifiée de souple. En effet, cela permet d’éviter une sanction au débiteur qui n’aurait pas soulever d’office l’irrégularité d’un acte de saisie.
B - Un rappel des exigences procédurales
La cour de cassation rappelle que toutes les nullités ne sont pas automatiquement des exceptions de procédure.
Seules celles qui visent à rendre irrégulière une procédure judiciaire doivent être soulevées en application de l’article 74 du code de procédure civile.
Cet article définit le régime des exceptions de procédure.
Rappelons que ces exceptions doivent être soulevées in limine litis, à savoir “simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir”.
Or, cet article n’est pas applicable en l’espèce.
Soulignons, encore une fois, que la nullité saisie des droits incorporels n’a pas pour objectif d’éteindre ou de rendre irrégulière la procédure judiciaire.
C - Un renforcement du contrôle par le juge de l’exécution
La position de la Cour de cassation de l’arrêt commenté outre de permettre la protection des débiteurs, elle permet au JEX de contrôler tout au long de la procédure la mise en œuvre des actes de saisie pratiqués par les créanciers.
Cette solution favorise ainsi un équilibre entre les droits des créanciers et la protection des débiteurs, en évitant les saisies irrégulières tout en garantissant l’efficacité des procédures civiles d’exécution.
IV - CONCLUSION
L’arrêt du 6 février 2025 apporte une clarification nécessaire en droit des procédures civiles d’exécution.
Il confirme que la nullité d’un acte de saisie ne constitue pas une exception de procédure mais un moyen au fond, pouvant être invoqué à tout moment.
Cette décision renforce également la protection des débiteurs en leur permettant de soulever une nullité sans contrainte de temps applicable aux exceptions de procédure.
Cet arrêt s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle de la Cour de cassation sur la question de la qualification juridique des moyens de défense en matière de voies d’exécution.
Cet arrêt permet de rappeler à tous les étudiants et professionnels du droit le régime juridique applicable aux contestations des saisies mobilières et permet d’éviter ainsi toute confusion entre moyens de fond et exception de procédure.
Mélanie LACOUR - Élève-avocat à l’EDASE - Droit civil