
Procédure de dissolution des associations : Conseil d’Etat, 30 décembre 2024, n°489498 (commentaire)
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Le pluralisme politique est-il menacé par la procédure de dissolution des associations ?
Le 30 décembre dernier, le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, 30 décembre 2024, n°489498 ) s’est prononcé sur le décret portant dissolution de l’association Civitas. Sa dissolution a été décidée pour de nombreux motifs, notamment en raison de ses propos discriminatoires, antisémites et collaborationnistes. Dans ses conclusions, la requérante a toutefois fait valoir que, depuis 2016, ses statuts ayant été modifiés, elle revêt le caractère de parti politique, estimant qu’elle échappe ainsi au champ d’application de l’article L.212-1 du Code de sécurité intérieure. Or, le Conseil d’Etat rappelle à juste titre qu’au sens de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, les partis politiques, constitués en association, relèvent de la loi de 1901 et ne sont pas exclus du champ d’application de la disposition susvisée.
I) Les principes classiques de la procédure de dissolution des associations
S’agissant de la dissolution, elle se définit initialement par la lecture combinée des articles 3 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. La loi prévoit ainsi que : “Toute association fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes mœurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement, est nulle et de nul effet.” (art.3). A cet égard, une procédure de dissolution est prononcée par le tribunal judiciaire, à la requête de toute personne intéressée ou à la diligence du ministère public (art.7).
Ces mêmes termes se retrouvent au titre Ier du chapitre II du Code de sécurité intérieure, régissant la suspension ou la dissolution de certains groupements et associations. En effet, l’article L.212-1 du même code, que le Conseil d’Etat reprend dans sa décision du 30 décembre 2024, prévoit effectivement une procédure de dissolution. Cette dernière est décidée par décret en conseil des ministres, autrement dit, par le Président de la République. La disposition dresse une liste exhaustive des motifs, et non pas de la nature des associations ou groupements, justifiant une telle procédure.
Or, dans la décision du 30 décembre dernier, la requérante conteste la légalité du décret en dénonçant un prétendu vice de procédure. Le considérant 12 de la décision indique que l’association s’en prévaut au motif que le décret serait entaché d’une telle illégalité afin de pouvoir “procéder à la dissolution d’un parti politique sous couvert de la dissolution d’une association”. C’est toutefois sans faillir que le Conseil d’Etat affirme dans le même temps que les partis politiques constitués en association, relevant ainsi de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, ne sont pas exclus par principe du champ d’application de l’article L.212-1 du Code de sécurité intérieure prévoyant ladite procédure.
Cette affirmation peut cependant laisser songeur, principalement au regard de ce que cela pourrait représenter pour la protection du principe de pluralisme politique.
II) Le pluralisme et l’existence des partis politiques : entre complémentarité et indissociabilité
Les partis politiques ont fait l’objet d’une reconnaissance constitutionnelle progressive et reconnue essentielle à l’exercice de la démocratie. D’abord, ils ont été désignés comme des “groupes parlementaires” au sein des deux assemblées qui constituent le Parlement, dans l’article 51-1 de la Constitution. Puis, le Conseil Constitutionnel a affirmé que dans le secteur politique, le pluralisme des courants d’idées et d’opinions est un principe à valeur constitutionnelle (Cons. Const., Décision n°2000-23 REF, 23 août 2000). A cet égard, il admet également que ce principe est un fondement de la démocratie (Cons. Const., Décision n°2004-490 DC, 12 février 2004).
Finalement, la révision constitutionnelle de 2008, modifiant l’article 4 de la Constitution, consacre le rôle essentiel des partis politiques à l’exercice de la démocratie au sein de la Nation. Et c’est en ce sens que le Conseil d’Etat s’est saisi de cette révision dans un arrêt de 2009 (CE, Ass., 8 avril 2009, Hollande et a, n°311136), pour apprécier partiellement le respect de l’expression pluraliste des opinions et de la participation équitable des groupements politiques à la vie démocratique de la Nation, au regard des interventions du Président de la République ou de ses collaborateurs.
Il ne fait ainsi pas l’ombre d’un doute que les partis politiques et la diversité d’opinions qu’ils représentent sont des composantes fondamentales de la démocratie.
III) Une décision mettant en exergue une défiance quant aux attributions du Président de la République
Le Président de la République est l’autorité compétente en matière de dissolution des groupements et associations, puisqu’il est à l'origine de ces décrets, même vis-à-vis des partis politiques comme l’indique le Conseil d’Etat, ce qui semble interroger. Bien que tout parti politique soit une association répondant au régime de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, la crainte d’une forme de dérive au regard d’un tel raisonnement semble d’emblée justifiée, s’agissant principalement de la figure politique que représente le Président de la République. Toutefois, l’état de la jurisprudence actuelle ne permet pas d’apprécier concrètement si le Président de la République est une figure politique parmi d’autres avec ses opinions qu’elle exprime et met à exécution, ou si, au sens de l’article 5 de la Constitution, il ne s’exprime ni au nom d’un parti, ni d’un groupement politique (CE, Ass., 8 avril 2008, Hollande et a, n°311136).
Par ailleurs, certains motifs énoncés par l’article L.212-1 du Code de sécurité intérieure peuvent prêter à une interprétation large en raison de l’utilisation de termes flous et imprécis par le législateur. Par exemple, le 1° dudit article dispose que sont dissous les associations et groupements de fait provoquant “à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens”. Or, dernièrement, de nombreuses manifestations, dans leur déroulé, tendent à inciter les manifestants à agir violemment envers les personnes ou les biens.
Ainsi, en combinant l’ensemble de ces éléments, une interprétation jugée peut-être “trop” extensive des motifs de dissolution prévus à l’article L.212-1 du Code de sécurité intérieure, à la lumière de la décision rendue par le Conseil d’Etat, pourrait laisser craindre à une augmentation du contentieux à l’encontre des décrets de dissolution des associations et groupements de faits, et notamment des partis politiques.
IV) Le déclin de la légitimité du chef de l’Etat bénéficiant à la protection acquise du pluralisme politique
Le Conseil Constitutionnel a toutefois rappelé en 2012 qu’en matière politique, outre le fait que le pluralisme est un principe à valeur constitutionnelle, il est aussi un droit et une liberté garantie par la Constitution, invocable au moyen d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) (Cons. Const., Décision n°2011-4538 SEN, 12 janvier 2012). Dès lors, non seulement les décrets peuvent faire l’objet d’un référé devant le Conseil d’Etat (art. L.511-2 et R.311-1 du Code de justice administrative), mais en plus, aucune loi allant à l’encontre de ce principe ne peut être adoptée au risque de se heurter à une QPC en l’absence de saisine du Conseil Constitutionnel lors d’un contrôle a priori de la loi.
Par ailleurs, le Président de la République, veillant au respect de la Constitution (art. 5), perdrait encore en légitimité en prenant ces décrets et en tentant de dissoudre progressivement et massivement tout parti politique, en effectuant une interprétation douteuse de l’article L.212-1 du Code de sécurité intérieure. En raison du climat et de l’instabilité politique actuels, il ne semblerait donc pas opportun pour le chef de l’Etat d’effectuer de telles manœuvres.
Lorna De Weindel // Master 2 de Droit Public des Affaires Université Paris-Est Créteil