L’incompétence du JEX pour certaines contestations en exécution forcée : Décision n°2023-1068 QPC du 17 novembre 2023 du Conseil constitutionnel (commentaire)

L’incompétence du JEX pour certaines contestations en exécution forcée : Décision n°2023-1068 QPC du 17 novembre 2023 du Conseil constitutionnel (commentaire)

Le Conseil constitutionnel a été saisi, en septembre 2023, d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l’article L.213-6 du Code de l’organisation judiciaire relatives à la compétence du juge de l’exécution et sur celles des articles L.231-1 et L.233-1 du Code des procédures civiles d’exécution relatives à la saisie et la vente des droits incorporels. Par une décision en date du 17 novembre 2023, le Conseil a censuré  une partie des dispositions du premier article précité, entraînant son abrogation partielle. Celle-ci aura des conséquences sur la compétence du juge de l'exécution à partir du 1er décembre 2024.

En bref

Depuis le 1er décembre 2024, le juge de l’exécution n’est plus compétent pour connaître des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée d’un titre exécutoire en matière mobilière : désormais elles relèvent de la compétence du Tribunal judiciaire.

I) Les faits ayant donné lieu à la question prioritaire de constitutionnalité 

En juillet 2020, une société civile immobilière a fait saisir les parts sociales (droits incorporels) que sa débitrice détenait dans une autre société. Son objectif était de les saisir pour les revendre ensuite et ainsi obtenir le remboursement de sa créance. 

Cette possibilité lui était est offerte par l’article L.231-1 du Code des procédures civiles d’exécution qui dispose que : 

« Tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut faire procéder à la saisie et à la vente des droits incorporels, autres que les créances de sommes d'argent, dont son débiteur est titulaire. »

D’une plus manière générale, les procédures de saisies (dont la saisie des biens incorporels fait partie) constituent des mesures d’exécution permettant à un créancier, sur la base d’un titre exécutoire (une décision de justice par exemple), d’obtenir le remboursement de sa créance sur les biens de son débiteur (biens mobiliers ou immobiliers, corporels ou incorporels, sommes d’argent). 

Dans notre espèce, en vue de la vente forcée des parts sociales, la créancière a établi le cahier des charges et a notamment fixé la mise à prix des parts sociales. Néanmoins, la débitrice a entendu contester cette mise à prix, la considérant trop basse : elle estimait que la valeur de ses parts était supérieure à leur mise à prix, ce qui risquait de les faire vendre à un prix trop bas. 

Sur le fondement de l’article L.213-6 alinéa 1 du code de l’organisation judiciaire, la débitrice a saisi le juge de l’exécution de cette contestation. En effet, ce texte dispose que : 

« Le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. [...] »

Pourtant, le juge de l’exécution de Bordeaux a déclaré la requérante irrecevable en sa contestation, s’estimant incompétent.  

Confirmant cette position, la cour d’appel de Bordeaux considère que la signification du cahier des charges ne constitue pas un « acte d’exécution permettant de saisir le juge de l'exécution d'une contestation portant sur la mise à prix des parts sociales. » (Cour d'appel de Bordeaux, 3 novembre 2022, RG n° 22/01236). 

Or, si les juges du premier et du second degré ont considéré que la contestation du montant de la mise à prix des parts sociales n’était pas une contestation qui s’élève à l’occasion de l’exécution forcée, il est vrai qu’aucune disposition relative à la saisie des droits incorporels ne prévoit la possibilité pour le débiteur de demander la modification de la mise à prix… 

Seule une disposition, l’article R. 233-7 du Code des procédures civiles d’exécution, prévoit la possibilité de formuler des observations sur le contenu du cahier des charges par toute personne intéressée… 

La requérante a alors formulé une question prioritaire de constitutionnalité, laquelle a été renvoyée au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 12 septembre 2023, 23-12.267)

Pour rappel, une question prioritaire de constitutionnalité permet à un justiciable, à l’occasion d’un litige auquel il est partie, de contester la conformité des dispositions législatives applicables audit litige aux droits et libertés garantis par la Constitution française. Il s’agit d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori.

II) La décision du Conseil constitutionnel 

Le Conseil constitutionnel relève, qu’en la matière, il est constant que le créancier fixe unilatéralement le montant de la mise à prix des droits incorporels saisis en vue de leur vente forcée et que le juge de l’exécution n’est pas compétent pour connaître d’une contestation de ce montant de la part du débiteur. 

Il en conclut que :

« Au regard des conséquences significatives qu’est susceptible d’entraîner pour le débiteur la fixation du montant de la mise à prix des droits saisis, il appartenait au législateur d’instaurer une voie de recours

Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées sont entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant le droit à un recours juridictionnel effectif. »

Ainsi, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée ».

III) Les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité

Conformément à la possibilité laissée par l’article 62 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a reporté la date d’abrogation de la disposition déclarée inconstitutionnelle au 1er décembre 2024. 

Il a néanmoins prévu des dispositions transitoires afin faire cesser la violation du droit à un recours effectif. Ainsi, le Conseil constitutionnel avait que prévu que, « jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er décembre 2024, le débiteur est recevable à contester le montant de la mise à prix pour l’adjudication des droits incorporels saisis devant le juge de l’exécution dans les conditions prévues par le premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire ». 

Le problème est que depuis le 1er décembre 2024, les termes « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » sont abrogés, alors qu’aucune loi nouvelle n’est intervenue pour corriger l’inconstitutionnalité du texte, la dissolution de l’Assemblée nationale ayant bouleversé le calendrier parlementaire.

La conséquence directe et immédiate de cette abrogation est que, depuis le 1er décembre 2024, le juge de l’exécution n’est plus compétent pour connaître des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée en matière mobilière. Le voilà amputé d’une partie du contentieux qui lui était jusqu’alors soumis…

IV) Mais alors, quel est le juge compétent en matière de contestations relatives à l’exécution forcée des titres exécutoires ? 

La Direction des services judiciaires et la Direction des affaires civiles et du sceau, à travers la circulaire du 28 novembre 2024, indiquent qu’en l’absence d’une disposition légale spécifique prévoyant la compétence du juge de l’exécution, la compétence appartient au tribunal judiciaire, comme le prévoit l’article L.211-3 du Code de l’organisation judiciaire, avec toutes les conséquences procédurales que cela implique. 

En revanche, cette compétence devrait être provisoire, dans l’attente de l’adoption d’une loi nouvelle qui corrige les défauts des anciennes dispositions en la matière. 

Notamment, le projet de loi de simplification de la vie économique qui est, à ce jour, en première lecture à l'Assemblée nationale, prévoit une rédaction identique de l’article L.213-6 alinéa 1 du code de l’organisation judiciaire mais envisage de modifier les articles du Code des procédures civiles d’exécution relatifs à la saisie des biens incorporels afin de prévoir la possibilité pour le débiteur, en cas d’insuffisance manifeste du montant de la mise à prix, de saisir le juge de l’exécution afin de voir fixer celle-ci par rapport à la valeur vénale des droits incorporels et les conditions du marché. 

CABO-HURLE Amélie, élève-avocate titulaire d’un Master 2 en Droit de l’entreprise

 

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