
Décision QPC 2024-1110 du 31 octobre 2024 : crémation des défunts
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Le Conseil Constitutionnel dans une décision QPC 2024-1110 du 31 octobre 2024 a jugé qu’il est inconstitutionnel que les communes puissent procéder à la crémation des restes des défunts à l’expiration du délai de sépulture sans en informer les ayants droits.
Le Conseil Constitutionnel censure comme contraires au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine les dispositions législatives relatives à la crémation des restes des défunts inhumés en terrain commun lors de la reprise de la sépulture par la commune.
I) La saisine du Conseil Constitutionnel :
Le Conseil Constitutionnel a été saisi le 31 juillet 2024 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 2223-4 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.
La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est une voie de droit offerte aux justiciables par la révision constitutionnelle de 2008. C’est l’élargissement de la saisine du Conseil Constitutionnel au justiciable afin qu’il puisse défendre leurs droits fondamentaux constitutionnels.
L’objet de la QPC est limité au moyen tiré de la contrariété avec des normes constitutionnelles protégeant des droits et libertés.
En France c’est l’article 61-1 de la Constitution qui évoque ce mécanisme.
Dans les faits, le requérant avait contesté la constitutionnalité d’une disposition du code général des collectivité territoriale qui autorisait le maire à reprendre des sépultures en terrain commun et qui avait la possibilité d’ordonner la crémation des restes des dépouilles des défunts sans avertir le cercle familial.
La disposition contestée est l’article L. 2223-4 du code général des collectivités territoriales, qui autorise le maire à faire procéder à la crémation des restes exhumés lors de la reprise d'une sépulture en terrain commun, en l'absence d'opposition connue ou attestée du défunt.
La crémation pouvait s’avérer donc contraire à la volonté des défunts mais également au principe de dignité humaine.
Monsieur Michel B. a saisi le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité, estimant que l'absence d'obligation légale d'informer les proches du défunt de la reprise de la sépulture et de la possibilité de crémation des restes exhumés portait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment le respect de la vie privée, la liberté de conscience et la dignité de la personne humaine.
D’un point de vue procédural, la QPC est soulevée à l’occasion d’une instance en cours, la juridiction ordinaire doit la transmettre à la Cour Suprême de son ordre ( qui sera soit la Cour de Cassation soit le Conseil d’État), et c’est elle qui sera habilité à opérer le renvoie de la QPC devant le Conseil Constitutionnel.
Une QPC doit être soulevée contre une disposition législative c’est-à-dire une disposition contenue dans une loi ou une disposition contenue dans un acte ayant force de loi.
La QPC présente un double filtrage :
Le premier filtrage est réalisé par les juges du fond, celui-ci présente certaines conditions de recevabilité :
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la QPC ne doit pas porter sur une disposition législative ayant deja été déclarée conforme à la Constitution sans changement de circonstance
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Il faut que la QPC ait une incidence sur la résolution du litige au principal
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La QPC ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux. Le juge du fond doit écarter les questions fantaisistes, artificielles ou les questions qui sont posées dans un but purement dilatoire.
Lors du second filtrage par le Conseil d’État ou la Cour de Cassation, la disposition législative contestée doit soulever une question nouvelle ou présenter un caractère sérieux.
Dans notre arrêt d’espèce, une telle question a pu être renvoyée au Conseil Constitutionnel parce qu’elle soulevait une question nouvelle qui était de savoir si les personnes décédées peuvent se voir reconnaître des droits fondamentaux comme la liberté religieuse, la dignité humaine et le droit au respect de la vie privée.
II) La décision du Conseil Constitutionnel :
La question s’est posée de savoir si les personnes décédées peuvent être bénéficiaires de droits fondamentaux ?
La Cour a jugé, dans une décision du 31 octobre 2024, que la disposition législative était contraire au principe de dignité humaine et que cela invalidait la disposition législative.
En effet, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution l'article L.2223-4 al.2, issu de la loi du 17 mai 2011, qui permettait à un maire de faire incinérer des restes exhumés en l'absence d'opposition connue du défunt.
Il censure comme contraire au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine cette disposition législative relative à la crémation des restes des défunts inhumés en terrain commun en cas de reprise de la sépulture par la commune. Il estime que ne pas informer les tiers susceptibles de s'y opposer porte atteinte à la dignité humaine du fait que cela ne permet pas de garantir que sa volonté soit respectée.
De ce fait, le principe de sauvegarde de la dignité humaine ne cesse pas avec la mort.
III) Les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :
L’abrogation de cette décision étant pour l’avenir, la question se pose de savoir comment remédier à cette inconstitutionnalité en l’espèce ?
L'abrogation des dispositions a été fixée au 31 décembre 2025 afin de laisser le temps au législateur d'adopter de nouvelles dispositions conformes à la Constitution.
Dans l'intervalle, le maire doit informer par tout moyen utile les personnes susceptibles de connaître la volonté du défunt avant de procéder à la crémation des restes exhumés lors de la reprise d'une sépulture en terrain commun, cela à compter de la publication de la présente décision.
La QPC est ici utile pour le requérant alors même que l’effet n’est pas immédiat du fait que l'effet utile de cette décision du Conseil constitutionnel est garanti alors même que l’abrogation est différée.
Cette abrogation est différée pour laisser au législateur le temps de corriger la disposition inconstitutionnelle, le Conseil peut reporter son abrogation tout en fixant, par des réserves transitoires, les modalités d’application de la loi durant cette période. Ainsi, la loi reste applicable sous certaines conditions jusqu’à son abrogation.
Eva CORDILLON-INTEM - Étudiante en Master 2 Justice procès et procédure à Toulon et étudiante à l'IEJ de Nice