La surpopulation carcérale : facteur de conditions indignes de détentions

La surpopulation carcérale : facteur de conditions indignes de détentions

Avec 79 300 détenus au 1er janvier 2025, selon le Ministère de la justice, pour environ 62 000 places, la surpopulation carcérale est une problématique d’actualité, et ce, depuis plusieurs années. Cette surpopulation conduit à des conditions indignes de détention, car de ce surpeuplement, en découlent un manque d’espace au sein des cellules, un manque d’intimité, un manque d’hygiène, ou encore des difficultés pour les établissements pénitentiaires à mettre en place des activités hors cellules. Cette problématique est récurrente depuis plusieurs années, et ce, malgré une condamnation en 2020 de la France, par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

I) L’existence d’un droit fondamental d’être détenu dans des conditions respectueuses de la dignité humaine

 Dans son arrêt Kudla contre Pologne du 26 octobre 2000, la CEDH a affirmé que l’article 3 (interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales imposait aux Etats de « s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine ». En ce sens, les Etats ont des obligations positives en la matière, c’est-à-dire qu’ils doivent mettre en place un système pénitentiaire respectant la dignité des détenus. Par cet arrêt, les juges européens affirment pour la première fois, que les détenus doivent l’être dans des conditions respectueuses de la dignité humaine, sous peine d’une violation de l’article 3 de la Convention européenne. 

Que recouvre la notion de dignité humaine ? Dans son arrêt Kudla, la Cour fait référence notamment à la santé et au bien-être des détenus. De plus, la dignité comprend également une détention dans des locaux salubres, en bon état, ne présentant pas la présence de nuisibles, d’un espace vital minimum par détenus, la présence d’activités hors cellules, ou encore l’administration de soins médicaux requis par certains détenus. 

 Il est à noter que l’espace vital dont dispose chaque détenu, joue un rôle important dans la caractérisation de la violation de l’article 3, pour conditions indignes de détention. En effet, dans l’arrêt Mursic contre Croatie du 20 octobre 2016, la Cour européenne a soutenu que lorsque le détenu détient moins de 3 m² d’espace personnel, cela fait naître une forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention. Cette présomption peut être renversée par les Etats s’ils démontrent l’existence de conditions décentes de détention, notamment une liberté de circulation dont dispose le détenu ou des activités hors cellules. Ainsi, si le détenu dispose d’un espace vital personnel de moins de 3 m² et qu’à cela s’ajoutent des conditions indécentes de détention cela pourrait conduire à une violation de l’article 3 pour détention dans des conditions indignes. 

II) La France condamnée en 2020 pour ses conditions indignes de détentions résultant de la surpopulation carcérale

C’est par l’arrêt du 30 janvier 2020, J.M.B contre France, que la Cour européenne a condamné la France pour violation des articles 3 et 13 de la convention européenne. Cet arrêt concernait 32 affaires au sujet des mauvaises conditions de détention dans plusieurs centres pénitentiaires et maisons d’arrêt surpeuplées, ainsi que l’effectivité des recours préventifs permettant aux détenus de contester leurs conditions de détention.

 D’une part concernant la violation de l’article 3, les juges européens ont retenu l’espace personnel exigu des détenus requérants, inférieur à l’espace minimal requis de 3 m², cumulé à un manque d’intimité. Certains requérants disposaient de l’espace minimal requis, mais ne disposaient pas d’activités hors cellules suffisantes, ni d’une liberté de circulation, ce qui traduit des conditions indécentes de détentions. Dès lors l’espace vital dont dispose chaque détenu n’est pas le seul critère pris en compte par la Cour dans son contrôle. Au regard de ces conditions indignes de détention, la Cour a conclu à une violation de l’article 3 de la Convention.

 D’autre part, concernant la violation de l’article 13 (le droit à un recours effectif), il a été jugé que les recours préventifs prévus en l’espèce, à savoir le référé-liberté et le référé mesures utiles, étaient ineffectifs, notamment du fait du pouvoir d’injonction limité du juge administratif dans le cadre de ces recours. Ainsi, ces recours ne permettaient pas aux requérants de remédier à leurs conditions indignes de détention, traduisant une violation du droit à un recours effectif.

III) La prise en compte de la condamnation européenne de la France par les juges   

 Suite à l’arrêt JMB, la cour criminelle, le 8 juillet 2020, a pris en compte les recommandations de la Cour européenne et a soutenu que le juge judiciaire « a l'obligation de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif permettant d'empêcher la continuation de la violation de l'article 3 de la Convention ».

 Par la suite, le 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel saisi d’une QPC, a abrogé le second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale. Le juge constitutionnel a relevé qu’aucun recours devant le juge judiciaire ne permettait à un justiciable détenu, d’obtenir qu’il soit mis fin à ses conditions indignes de détention.  

IV) La prise en compte de la condamnation européenne de la France par le législateur

 C’est par la loi du 8 avril 2021, que le législateur crée l’article 803-8 du code de procédure pénale. Cette disposition permet aux personnes détenues dans un établissement pénitentiaire, et qui considèrent que ses conditions personnelles et actuelles de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine, de saisir le juge judiciaire afin qu’il y soit mis fin. Le juge saisi sera soit le juge des libertés et de la détention, lorsque le détenu est en détention provisoire, soit le juge d’application des peines, lorsque le détenu exécute une peine privative de liberté.

 Concrètement, cette loi offre aux détenus la possibilité de former un recours devant le juge judiciaire, afin de contester leurs conditions de détention, lorsqu’ils les considèrent comme étant contraire à la dignité de la personne humaine. L’article précité affirme que les déclarations du détenu quant à ses conditions de détention, devront être circonstanciées, personnelles et actuelles. Ainsi, le détenu ne peut pas, par exemple, utiliser ce recours afin de contester les conditions de détention générales de l’établissement pénitentiaire où il se trouve. Il faut cependant noter que, si le juge saisi conclut à une détention du requérant dans des conditions indignes, et constate que l’administration pénitentiaire n’y a pas remédié dans le délai qu’il a fixé, diverses solutions s'offrent à lui. Le juge pourra transférer le détenu, prononcer un aménagement de peine, prononcer la remise en liberté du détenu provisoirement ou encore ne prononcer aucune de ces décisions si le détenu requérant a déjà refusé un transfert sans raisons valable.

Pour finir, le 6 juillet 2023, la Cour européenne a de nouveau condamné la France, dans son arrêt B.M, pour violation des articles 3 et 13 de la Convention, pour les mêmes raisons qu’elle l’avait fait dans l’arrêt J.M.B. Dans cet arrêt de 2023, elle devait se prononcer sur les conditions de détentions des requérants, qui étaient détenus aux mêmes périodes que celles où l’étaient les requérants dans l’affaire J.M.B, et n’ont de ce fait pas pu user du recours prévu par la loi du 8 avril 2021.

En conclusion, le problème de surpopulation carcérale en France perdure depuis de nombreuses années et conduit à des conditions de détention indignes, contraires à l’article 3 de la Convention européenne.  Suite à la condamnation de la France par la Cour européenne, les juges et le législateur français ont pris en compte les recommandations de la Cour, menant à la loi du 8 avril 2021, qui crée un recours permettant aux détenus de contester leurs conditions de détention. Cependant, le problème de surpopulation carcérale est toujours d’actualité y compris les conditions indignes de détention. 

 

Pélissier Amandine, titulaire d’un Master 2 Justice, procès et procédures.

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