
Le harcèlement sexuel collectif : Arrêt rendu le 12 mars 2025, n°24-81.644 (commentaire)
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Pour la première fois, dans son arrêt du 12 mars 2025, la Cour de cassation reconnait la notion de « harcèlement sexuel ambiant » ou dit également collectif, par une décision importante. Cette notion est également connue sous le nom de « harcèlement d'ambiance à caractère sexuel », de « harcèlement sexuel d'environnement hostile » ou encore de « harcèlement sexuel de meute ».
I) La décision du 12 mars 2025
En l'espèce, un président d’Université a saisi le procureur de la République pour dénoncer des propos et attitudes sexistes et dénigrants d’un maître de conférences de son université en droit public.
Le maitre de conférences était alors poursuivi pour « harcèlement sexuel par personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions » par une quinzaine d’étudiants.
Par un jugement du 11 juillet 2022, ce maître de conférences a été déclaré coupable de l’intégralité des faits qui lui étaient reprochés, et condamné à 12 mois d’emprisonnement avec sursis et 3 ans d’interdiction d’exercer une activité professionnelle, en plus des dommages et intérêts sur le plan civil.
Puis, par un arrêt du 6 septembre 2023, la cour d’appel a relaxé le prévenu de l'ensemble des faits, à l'exception de ceux portant sur un étudiant.
En effet, selon la cour d’appel, l'infraction de harcèlement sexuel n'était pas caractérisée en tous ses éléments, car les autres étudiants n'avaient pas été visés directement par les propos à connotation sexuelle ou sexiste tenus par le prévenu, donc par le maitre de conférences. Les agissements litigieux avaient en effet été adressés à l’ensemble des étudiants pendant les cours magistraux ou les séances de travaux dirigés donnés par ce prof.
L’Université forme donc un pourvoi contre l’arrêt d’appel : selon elle, la cour d’appel a attaché à l’infraction de harcèlement sexuel l’absence de répétition d’agissements visant directement les victimes. Or, le délit de harcèlement sexuel, toujours selon les arguments de l’Université, se trouve caractérisé par le fait de s’adresser à une assemblée d’étudiants car les propos ou comportements à connotation sexuelle étaient susceptibles de s’imposer à chacun d’eux.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel, et donc ne suit pas son raisonnement, et suit les arguments avancés par l’Université.
Elle juge ainsi que des propos à connotation sexuelle ou sexiste adressés à plusieurs personnes, ou de tels comportements adoptés devant plusieurs personnes, sans pour autant les viser directement, sont susceptibles d'être imposés à chacune d'entre elles, caractérisant ainsi le délit de harcèlement sexuel.
La Cour de cassation consacre, à partir du 12 mars 2025, la notion de harcèlement sexuel ambiant.
II) L’élargissement du délit de harcèlement sexuel
Selon la doctrine, l’arrêt rendu le 12 mars 2025 constitue un véritable élargissement de la notion de harcèlement sexuel.
En effet, l’alinéa 1er de l’article 222-13 du Code pénal dispose que :
« I. - Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. […] »
Or, les propos ou comportements dont il est question dans cet article doivent s’imposer personnellement à la victime, bien que ce texte n’exige pas que ces propos ou comportements s’imposent directement à elle.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 12 mars 2025, considère que les propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste sont « susceptibles d’être imposés » à chacune des personnes qui constitue le groupe de personnes qui y sont confrontées.
Le champ d’application de l’infraction du délit de harcèlement sexuel est donc élargi, selon la doctrine, au mépris de la lettre du texte.
Toutefois, cet élargissement du champ d’application du délit de harcèlement sexuel s’inscrit bien dans la ligne de l’évolution de la jurisprudence de la chambre criminelle en matière de harcèlement.
En effet, dans un arrêt récent rendu le 21 janvier 2025, la Cour de cassation, dans le cadre du harcèlement moral, a considéré que :
« La caractérisation de l'infraction [de harcèlement moral] n'exige pas que les agissements reprochés à leur auteur concernent un ou plusieurs salariés en relation directe avec lui ni que les salariés victimes soient individuellement désignés »
La chambre criminelle a alors consacré la notion de harcèlement moral institutionnel.
Toutefois, cet élargissement a plus de sens selon la doctrine, car le harcèlement moral est une infraction formelle : c’est-à-dire qu’elle se caractérise par le seul accomplissement de l’acte incriminé, même en l’absence de tout dommage, contrairement à l’infraction de harcèlement sexuel, qui est une infraction matérielle, qui implique la démonstration d’un résultat.
Pour plus de précisions sur le harcèlement moral institutionnel, nous vous renvoyons vers l’article posté à ce sujet sur Libdedroit : l'article de Camille Casanova.
COËTMEUR Chloélia, élève-avocat à l’Ecole de formation du Barreau de Paris